Axes de recherches

Environnement d'apprentissage

Avons-nous réellement besoin de lieux dédiés à la transmission de  savoirs? L'époque que nous vivons a vu naître un accès, parfois relatif, à l'information. Séduisante, omniprésente, augmentée, celle-ci ne représente plus une fin en soi. Le traitement qu'on lui accorde rélève du détachement de celui qui observe un flux. Mais au-delà des interrogations sur la nature des contenus à transmettre, il nous semble essentiel de comprendre le rôle qu'assume l'espace dans les processus d'apprentissage émergents : classifier leur diversité, définir leurs limites, imaginer leurs formes futures, questionner leur intérêt, connecter leur activité avec de nouveaux secteurs.
 
Pour DANT, s’intéresser aux rapports qu’entretiendront les générations futures avec la connaissance s’avère être une chose fondamentale. A  l’heure même où notre planète s’épuise géologiquement et symboliquement,  contribuer à l’évolution de notre système éducatif représente depuis  des années un engagement éthique et un vecteur de remise en question  du rôle de l’architecte et du designer dans nos sociétés. L’héritage de  l’architecture scolaire compte aujourd’hui nombre de constructions en  crise, en cela qu’elle n’accompagne pas nécessairement l’évolution  des modes de transmission du savoir. Aujourd’hui, nous pensons que ces  établissements publics ne peuvent plus se permettre d’être datés ou  rattachés à des mouvements ou des modes pédagogiques uniques et statiques.  Si l’on tente effectivement de «concevoir l’école en réseau dans son  territoire», l’environnement qu’on lui associe devra forcément être  ouvert à la formation d’une «nouvelle alliance éducative»(1).  Ouvert? Nous évoquons l’idée de les ouvrir physiquement, de les ouvrir à  de nouveaux écosystèmes, à de nouvelles disciplines d’études, à des  évolutions organisationnelles dynamiques, à d’autres modes de gouvernance, à une nouvelle maïeutique, etc.
 
 Les  technologies numériques rendent possible un bouleversement de ces  milieux. Loin de la technophobie, nous croyons qu’elles peuvent  présenter des situations de leurre voir de réels dangers –  standardisation des contenus et des supports, surveillance à outrance,  formatage de la pensée, prolétarisation des esprits, vitesse d'innovation supérieure à  celle du renouvellement des générations et coût d'actualisation du matériel trop élevé. Nous ne souhaitons pas que ces environnements d’apprentissage deviennent à leur tour des lieux de consommation et prônons l’existence d’environnements en mesure d'accompagner l'expression et l'assimilation d'une littératie numérique.
 
Beaucoup de parallèles existent entre le monde de l'éducation et celui de la conception en design et en architecture, par exemple, lorsqu'un  enseignant construit un scénario rendant possible la transmission de  savoirs. A ce titre, il doit tenir compte des paramètres qui composeront  l’expérience (utilisateur)(2) qu’il proposera à son auditoire. Quels supports d’information va-t-il choisir? Quelles articulations définiront l’ergonomie de son propos ? Quelle posture corporelle va-t-il adopter ? Quelle configuration  spatiale correspondra à son objectif pédagogique? En bref, dans quel scénario va-t-il ancrer sa proposition éducative?  Bien sûr, des questionnements similaires peuvent placer la caméra du  côté d'un autre membre de la commuauté éducative, de l’apprenant ou de tout autre usager de ces lieux. La complexité de cette thématique permet à notre  équipe et à nos contributeurs de régler la focale sur l'un ou l'autre de ces points de vue.
 
(1) Rapport Jules Ferry 3.0, rédaction piloté par Sophie Pène. Octobre 2014, Conseil National du Numérique
(2) Conférence de Bruno Devauchelle: L'enseignant peut-il mettre à profit l'UX design pour concevoir et mettre en oeuvre son enseignement ?, Université de Poitiers, 2013.

Imaginaires en résistance

"Nous imaginons le plus claire de notre temps, si nous admettons  qu'imaginer n'est pas seulement inventer des fictions, mais produire des  images mentales en lieu et place de données qui n’existent plus ou pas  encore, en confiant aux images et à leurs valences affectives le pouvoir  de lier entre eux les moments de notre vie, de remplir les vides de  l'ignorance, de susciter des valeurs et des croyances négatives ou  positives relatives à la vie que nous menons". (1) 
 
On comprend que l'imaginaire échappe à l'automatisation généralisée de nos sociétés. Ce qui nous différencie  aujourd'hui des machines ou encore de l’intelligence artificielle, c'est principalement cet imaginaire à la fois rationnel et  irrationnel qui agit en colonne vertébrale de nos émotions et de nos affects. Notre capacité à produire des imaginaires est souvent liée à notre éducation, à nos lectures, au cinéma, aux jeux vidéo et à tous moyens de produire des images symboliques suscitant en chacun une multiplicité d'imaginaires. De nos jours, on constate en occident une saturation d'images produites et industrialisées, autant par la science fiction, la publicité, les magazines et autres médias, qui agit comme des œillères pour nos imaginaires.
 
Dans un monde numérisé criblé de représentations techniques, les technologies solutionnistes prennent une part belle dans la construction d'un futur rationnel à l'impact environnemental inquiétant. Dans ce contexte d'épuisement des ressources, terrestres et imaginaires, il est indispensable de réfléchir à cette "matière première"(2) capable de désinhiber afin de nourrir et produire des alternatives réenchantées.
 
Dans ce cadre, comme pour résister au dogmatisme de cette "industrie des imaginaires"(3), à ce futur sans utopie, de nouvelles pratiques s'inventent. Au centre l’atmosphère, l'espace, les objets et les artefacts techniques sont autant d’éléments qui cristallisent les imaginaires aussi bien qu'ils s’emploient en instrument.
 
 
Sans rentrer dans les détails de ces pratiques, on retrouve certains de ces phénomènes dans les festivals, les ZAD (zones à défendre) ou autres zones temporaires de résistance et de liberté par la capacité à fédérer des imaginaires à travers leurs environnements. Nous pouvons également évoquer les constructions de processus tels que le "design fiction"(4) ou les "fictions situées"(5) qui forment un congloméra que l'on pourrait qualifier  de "design et architecture des imaginaires". Design quand il concerne le processus de modélisation et de projection, et architecture lorsqu'il évoque l'agencement ou la structuration. Alors comment désinhiber les imaginaires ? Comment fédérer et réenchanter par les imaginaires ? Comment inventer des dispositifs propice aux imaginaires ? 
 
(1) Jean-Jacques Wunenburger, L’imagination mode d’emploi? Une science de l’imaginaire au service de la créativité,  Éditions Manucius, 2011.
(2)  Pierre Musso, L'imaginaire de l'industrie et les industries de l'imaginaire dans l'ouvrage collectif La métamorphose numérique: Vers une société de la connaissance et de la coopération, sous la diréction de Francis Jutand, édition Manifestô  - Alternatives, 2013.
(3) Pierre Musso dans la présentation de la chaire modélisation des imaginaires
(4) Nicola Nova, Futurs ? : La panne des imaginaires technologiques, les moutons électriques, 2014.
(5) Aurélie Herbet, "Fictions situées : pratiquer et expérimenter l’espace entre fiction et dispositifs médiatiques", Thèse, 2015.

Vernaculaire numérique

De manière générale  lorsqu'on parle de vernaculaire, l'imaginaire collectif nous renvoie à des langues, des pratiques, des constructions typiques sans auteur, des modes fabrications solidement ancrés dans un pays, une culture régionale ou des communautés auto-organisées. Le vernaculaire aujourd'hui est dans l'imaginaire collectif utilisé pour symboliser un retour au source, comme moyen pour limiter son impact sur l’environnement, pour relocaliser, pour retrouver le sens du bien commun.
 
Parler de numérique, ce n'est pas seulement évoquer des technologies, c'est aussi considérer notre environnement numérisé, quantifié, comptabilisé. Associer Vernaculaire et numérique pourrait paraître incohérent ou farfeulu quand on reconnait le coté naturel et quasi non conscient(1) du vernaculaire par apport à la rationalité du numérique. C'est bien cette ambivalence qu'il faut reconnaître dans le vernaculaire numérique. A la fois reproduction de logique non consciente, naturel et générateur d'artificialisation, de technique de contrôle.
 
On reconnaît dans les origines de l'informatique à travers la contre culture et  "l'Ethique Hacker" une volonté de réappropriation des savoirs faire qui ont fait apparaître depuis quelques années une figure aux contours flous, celle du "maker", Amateur. Ce dernier est souvent regroupé autour de plusieurs communautés auto-organisées à travers des pratiques, des idéologies, des thématiques ... Privilégiant les logiques décentralisées, du logiciel libre ou de l'open source dans lequel il retrouve un certain imaginaire des logiques naturels et d'auto-régulations propre à la définition du vernaculaire. Ainsi le numérique offre de nouveaux milieux et des instruments qui bouleversent les systèmes de création, de production, d'appropriation et de droits auteurs... Privilégiant l'abondance des circuits courts, inventant des nouveaux langages, des règles organisationnelles, des modes de production, de gouvernances propre à ces communautés. Voila une belle utopie qui pose des limites qu'il faut questionner afin de comprendre les trajectoires alternatives possibles. 
 
A contrario, le vernaculaire numérique c'est aussi l'artificialisation et le contrôle de communautés pour des visées mercantiles. Grâce à des méthodes comme le community management ou bien à la création d'une sémiotique, d'objet iconique, de totem comme on le trouve chez Apple. C'est aussi l'imaginaire d'une économie collaborative d'apparences trompeuses, sous le nom d'"économie du partage", telles que les plateformes centralisées. Elles visent un monopole mondial et une forte rentabilité  (Uber, AirBnb…) en usant des données personnelles pour générer toutes sortes de technologies, d'algorithmes pouvant répondre aux besoins de ces utilisateurs et de sa communauté. Ainsi le milieux numérique génère des outils "vernaculaires", jouant du langage, des sens,  l'usager est à la fois armé pour agir et gouverner.
 
Cependant dans cette écosystème ambivalent, nous avons encore le choix. Les milieux coopératifs se réinventent et avec celui-ci de nouveaux types de productions vernaculaires.
 
Dans ce contexte, les rôles de l'architecte et du designer sont bouleversés dans la manière de concevoir, d'inventer, d'innover d'aborder l'espace, l'objet ou encore sa profession. Nous Interrogerons donc les pratiques numériques du vernaculaire pour y déceler les enjeux et les trajectoires possibles.
 
(1) Voir De la synthèse de la forme, Christopher Alexander, édition Dunod, 1976