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L’eau et la ville – Urbanisation, imperméabilisation, inondation

Parce qu’elle est indispensable au développement d’une civilisation, les villes se sont toujours installées près de l’eau : le long de l’Euphrate en Mésopotamie, du Nil en Egypte, sur les rives du Bosphore pour Constantinople, et il en va ainsi pour Rome, Athènes, etc. L’eau rend les terres fertiles, est utile à la vie domestique, sert de voie de communication et fait respirer la ville. Au fil du temps et de la croissance urbaine, on a essayé de la dompter, de la contrôler, via des digues, des barrages ou des déversoirs. Mais, qu’il s’agisse d’un trop plein ou d’un pas assez d’eau, cet élément est parfois capricieux voir dévastateur, et il a fallut s’en accommoder.  Alors que les images de typhons, de pluies diluviennes, de grandes crues et même de terribles sécheresses reviennent de plus en plus régulièrement sous nos yeux, alors que les villes s’étendent de plus en plus, alors que beaucoup crient à la catastrophe naturelle, alors que l’eau reste un élément indispensable pour notre organisme et notre civilisation, il est intéressant de se pencher, à travers différentes études de cas, sur la relation que nous entretenons aujourd’hui avec cet élément…un petit retour aux sources en quelque sorte.

Après avoir cherché à urbaniser le monde pendant un siècle et demi, on commence enfin à réfléchir : on n’a jamais autant repensé l’urbanisation qu’aujourd’hui, et il était temps. Avec l’augmentation du niveau de la mer de 1 mètre prévue pour 2100, les villes vont plus que jamais devoir reconsidérer leur organisation avec et non contre cet élément. Ce premier article est, je l’espère, le début d’une longue série sur le thème de l’eau et la ville mais aussi sur celui de l’anthropocène. L’être humain a incontestablement un effet sur son environnement qui ne peut plus être contesté, et la ville de Mexico en est un des exemples les plus probants. L’homme y a en effet imposé son modèle, modifiant à tout jamais un écosystème, et y a construit une des villes la plus étendue et la plus polluée du monde. La «gestion» de l’eau, si abondante auparavant, a plongé la ville dans une situation de stress hydrique, où l’eau est pompée, évacuée, cachée, dominée, «maitrisée», déplacée, gaspillée et gâchée.

Etude de cas 1 : La ville de Mexico

AGUAS CON EL AGUA*

Ou comment la ville de Mexico, ancienne cité lacustre, dont l’activité était entièrement tournée vers l’élément eau, est devenue l’exemple «parfait» de la mauvaise gestion de cette même ressource, générant d’immenses problèmes écologiques, sanitaires et sociaux.

* «Attention avec l’eau» / «Aguas» est une expression utilisée au Mexique pour dire «Attention». A l’époque où le tout à l’égout n’existait pas, les habitants de la ville de Mexico lançaient leur eaux sales par la fenêtre en criant «Aguas» (eaux) pour prévenir les éventuels passants.

Chapitre 1/ Une ancienne lagune…

Difficile d’imaginer que, de cette ancienne lagune, il ne reste aujourd’hui aucune trace. Hormis la zone de Xochimilco, située au Sud-Est de la ville, encore parcourue par des canaux et sur lesquels circulent des trajineras et le lac de Chapultepec, l’eau a quasiment disparu de l’espace public. Mais il faut imaginer la ville préhispanique de Tenochtitlan telle Venise, remplie de ces canaux. L’eau était à l’époque l’élément structurant de la ville, tant d’un point de vue alimentaire que social et culturel. L’arrivée des colons perturba à jamais la relation à l’eau des habitants et de la région.

  1. La fondation de la ville
Tenochtitlan, mural de Diego Rivera

Tenochtitlan, mural de Diego Rivera

Lorsque l’on circule dans la ville de Mexico, en voiture, en pecero, en Metrobus (nouvelles lignes de bus), en métro, à vélo ou -si l’on est courageux- à pied, il est très rare de voir de l’eau… sauf en bouteille. Les seules trace de l’existence de certains fleuves sont des noms de stations ou d’avenues empruntant le même trajet: Rio Churubusco, Rio Tacubaya, Rio Hondo, etc., et pourtant…

La cité de Tenochtitlán, fondée en 1325 s’implante sur une petite île, au milieu du lac Texcoco, lui même entouré d’une chaine de montagnes et de volcans. Le lac Texcoco est particulier. C’est un lac d’eau salée, fermé et donc sans cours d’eau émissaire* qui forme à l’époque, avec les lacs Xaltocan, Zumpango, Chalco et Xochimilco, un immense bassin de 2 000 km2.

*Ce type de cours d’eau permet l’évacuation du trop plein d’une étendue d’eau à l’inverse des affluents qui constituent un apport d’eau

Altiplano Central y Cuenca de México, 1510, Tomás Filsinger 

Altiplano Central y Cuenca de México, 1510, Tomás Filsinger

Si l’endroit peut paraître étrange pour y implanter une ville c’est qu’il ne fut pas choisi par les Aztèques, mais guidé par un de leurs dieux. L’histoire veut que les Mexicas ou Aztèques aient débuté leur migration en 1064, guidés par le dieu Huitzilopochtli. « Je vous conduirai là où vous devez aller. Je vous apparaîtrai comme un aigle blanc; et où que vous alliez vous chanterez. Vous n’irez que là où vous me verrez, et lorsque vous serez arrivés dans un endroit où il me semblera bon que vous demeuriez, je descendrai du ciel et vous me verrez à terre. Vous édifierez mon temple, mon lit d’herbes en cet endroit où je serai venu pour me reposer, prêt à repartir et à m’envoler. » En 1325, le signal sacré d’un aigle perché sur un cactus, dévorant un serpent sur une île rocheuse, mit fin à la migration des Aztèques, et ainsi, commença leur installation. L’image de cet aigle et de ce serpent est d’ailleurs aujourd’hui représentée sur le drapeau mexicain.

Illustration de la découverte de l'endroit indiqué par le dieu, dans la Historia de las Indias de Nueva España, islas e tierra firme, du dominicain Diego Duran

Illustration de la découverte de l’endroit indiqué par le dieu, dans la Historia de las Indias de Nueva España, islas e tierra firme, du dominicain Diego Duran

Cette adaptation à un nouveau mode de vie ne fut pas sans peine. Mais les Aztèques réussirent à faire de cet inconvénient la base de leur civilisation, créant des aqueducs comme l’aqueduc de Chapultepec, des digues, des barrages et des écluses. Les barrages ainsi créés permirent aux Aztèques non seulement de réguler le niveau du lac mais aussi de séparer, à l’Est du lac, l’eau de pluie (potable) de l’eau salée et d’ainsi développer l’agriculture via des jardins flottants de forme rectangulaire, appelés chinampas. Ces dernières permettaient de subvenir à plus de la moitié des besoins en nourriture de la cité, en plus des activités de pêche. Peu à peu, la cité s’étendit autour de l’île centrale via des canaux et des îles artificielles.

Construction de l'aqueduc de Chapultepec

Construction de l’aqueduc de Chapultepec

Illustration de la culture sur chinampa

Illustration de la culture sur chinampa

 

 

 

 

 

 

 

2. Une mythologie basée autour de l’eau

Chez les indiens, les mythes font partie intégrante de la culture. Ils expliquent le fonctionnement de la nature et de l’environnement, et les divinités, à la base de ses mythes, règnent et dirigent leur monde. Pour les indiens, l’eau provient à la fois du paradis des Tlaloques, et des montagnes, à l’intérieur desquelles la ressource s’accumule selon la volonté de la déesse des eaux terrestres, Chachiutlicue. Lacs et rivières sont donc issus des profondeurs de la Terre, selon un cycle souterrain de circulation de l’eau. En développant une nouvelle civilisation à partir de l’eau, les Aztèques laissèrent à l’eau, ainsi qu’à ses divinités et aux rites qui en découlent, une place prépondérante dans la vie religieuse et quotidienne. En effet, cette ressource indispensable à la vie dans une cité placée elle-même dans un contexte naturel parfois extrême, alternant entre périodes de sécheresse et inondations, vint rythmer, via ses divinités, la vie quotidienne des Aztèques.

Chez les Aztèques, Tlaloc, «celui qui fait pousser les choses» en nahuatl* , est le dieu de la pluie, de l’eau et de la fertilité. Connu pour son caractère très capricieux, il était extrêmement craint et vénéré car c’est à lui que l’on devait (ou non) la pluie et donc les récoltes. C’est en effet lui qui extrayait l’eau des montagnes pour la faire ensuite tomber selon son bon vouloir. Souvent représenté avec de long crocs et de grands yeux, les simples symboles aquatiques tels que les plumes de Héron ou le bâton ondulé pouvaient signifier sa présence. Son origine remonte à la fondation de Teotihuacan (IIIe – VIIe S.) mais le culte de Tlaloc prit une beaucoup plus  grande importance à la fondation de Tenochtitlan, où Tlaloc et Huitzilopochtli occupaient ensemble le somment de la plus haute pyramide du Templo Mayor, avec chacun un sanctuaire dédié. Sur les dix-huit mois de l’année rituelle aztèque, cinq sont consacrés à Tlaloc et à ses compagnons divins, les Tlaloques. Lors du premier et du troisième mois, atlcaualo et tozoztontli, des enfants étaient sacrifiés en son honneur. Durant le sixième, etzalqualiztli, les prêtres, se baignaient dans le lac en imitant des cris d’oiseaux aquatiques et en utilisant des «cloches à brouillard» pour obtenir de la pluie. Tepeilhuitl, le treizième mois, était la fête des montagnes, desquelles Tlaloc faisait tomber la pluie, et atemoztli le seizième mois, celui de la descente de l’eau. En plus de Tlaloc, d’autres divinités ayant un rapport avec l’eau intervenaient aussi. Chachiutlicue, déesse des rivières et des lacs ou Uixtociuhatl, déesse des l’eau salée et de la mer. De ce fait, le vocabulaire associé à cet élément est très riche, beaucoup plus qu’en Europe à la même époque. Des références à l’eau sont aussi très présentes dans les écrits et dessins retrouvés jusqu’alors.

*nahuatl : langue aztèque

Le dieu Tlaloc, Codice Maglibecchia

Le dieu Tlaloc, Codice Maglibecchia

« [La fête] était dédiée à Tláloc et à Chachiutlicue, sa compagne. Au cours de cette fête, on sacrifiait de jeunes enfants qui portaient le signe de l’eau, c’est à dire des cheveux ondulés. Avant de les conduire sur le lieu de leur mise à mort, on leur arrachait les ongles, offrandes très appréciée de Tláloc et des Tlaloque. En vertu des règles propres à la magie imitative, on interprétait les pleurs des futures victimes comme un bon augure des pluies à venir. »

MUSSET, Alain. De l’eau vive à l’eau morte, enjeux techniques et culturels dans la vallée de Mexico : XVIe-XIXe siècles -Paris : Recherche sur les Civilisations, 1991. p. 202

3. L’arrivée des Espagnols, une destruction de la culture de l’eau

Lorsque Cortés arriva dans la cité de Tenochtitlan en 1521, entre 100 000 et 200 000 pirogues circulaient sur le lac de Texcoco, pour une moyenne de 100 000 habitants. La conquête de la cité dura 75 jours, pendant lesquels Cortés bloqua les accès aux principales voies de circulations de la ville, dans le but d’affamer ses habitants. Il fit aussi détruire les barrages construits auparavant par les Aztèques. Cet acte lui permit de s’emparer entièrement de la cité, mais il perturba aussi à tout jamais l’équilibre écologique que les Aztèques avaient réussit à créer avec l’eau. La suite de la destruction de la «Nouvelle Venise» au profit de la construction de la ville de Mexico est une longue histoire de l’effacement progressif d’une culture ancestrale de la gestion de l’eau, et le début d’une longue politique de privatisation de l’accès à l’eau, aujourd’hui encore bien en place.

Tenochtitlan à l’arrivée des Espagnols - 1572

Tenochtitlan à l’arrivée des Espagnols – 1572

En effet, les Espagnols craignant cet élément, puisque ne le maîtrisant pas aussi bien que les indigènes, rendirent payant la circulation des canaux, augmentant de manière excessive le prix d’utilisation des canaux, pour empêcher les indigènes d’utiliser leur embarcations et contrôler les flux. En opposition à la culture de l’eau très mythologique des Aztèques, les Espagnols avaient une vision très «mécanique» du cycle de l’eau et de l’environnement, qu’il faut maitriser et dompter. Les colons transformèrent donc «l’eau des indiens», atout ancestral, en un élément à combattre, cherchant aussi à montrer la supériorité de leur civilisation par l’imposition d’un nouveau modèle culturel et par l’importation de nouvelles techniques de culture du sol et l’utilisation d’animaux domestiques. Cette soumission à une nouvelle culture passa aussi par la mise en place d’une oeuvre pharaonique, l’assèchement du lac Texcoco.

 

Chapitre 2/ …Qui aujourd’hui s’inonde et s’enfonce

C’est là toute l’ambiguïté de la situation. L’assèchement d’une ville construite sur l’eau, dont la culture tournait autour de cet élément ne peut qu’engendrer des problèmes environnementaux. La ville de Mexico est une excellente illustration de l’impact irréversible que peut avoir la main humaine sur un milieu naturel.

  1. Évacuer le fleuve pour imposer son modèle : le Desaguë

    Image du grand canal de Desague

    Image du grand canal de Desague

Les colons espagnols, désireux d’imposer leur vision de la ville et de la société moderne et ne maitrisant pas le système de ville lacustre, firent assécher le lac … par les indiens eux-mêmes. Prétextant des problèmes sanitaires liés à l’eau stagnante du lac, source de mauvaises odeurs et de maladies, ils commencèrent la construction du grand canal du Desaguë («écoulement» en espagnol). En parallèle de ce Desaguë, la ville devint de plus en plus demandeuse et consommatrice d’eau, pour les moulins, le bétail, l’agriculture ainsi que pour le développement de loisirs «européens» tels que les bains et piscines, entrainant la ville dans une situation de plus en plus paradoxale.

L’oeuvre pharaonique du Desaguë fut décidée après les terribles inondations de 1604 et 1607, dans le but d’assécher entièrement le bassin de Mexico. Ce projet fut préféré par la Couronne espagnole à celui d’un ingénieur hollandais, Adrian Boot, qui préconisait une conservation des lacs et un endiguement de la ville avec un système de rejet des eaux superflues. Considéré comme un projet hérétique parce que trop proche des techniques indigènes, cette solution fut écartée et c’est celui d’un Allemand appelé Enrico Martinez qui fut choisie. Le Grand Canal symbolise la colonisation de la ville de Mexico, par la disparition de l’eau mais aussi des indiens eux-mêmes qui ne résistèrent pas beaucoup au travail forcé pour creuser ce Desaguë, dans des conditions de travail inhumaines. En seulement onze mois, 450 000 indigènes construisirent un tunnel de 7 km de long et 50m de profondeur. Ce grand canal permettait de connecter le lac Texcoco au fleuve Tula et de conduire ainsi l’eau du bassin jusqu’au Golfe du Mexique. Malgré de nouvelles inondations en 1629 (soit 22 ans après le début des travaux), les travaux durèrent près de trois siècles. En 1867, un nouveau déversoir pour le lac de Texcoco de 11km de long et 4m de diamètre était construit.

Drenaje Profundo

Drenaje Profundo

Cela n’empêcha pas en 1951 le centre historique et d’autres colonies* d’ être inondés pendant 3 mois avec un niveau d’eau allant jusqu’à 3 mètres, convertissant de nouveau la capitale en un lac. Cette nouvelle catastrophe entraina la construction d’un nouveau déversoir, el Drenaje Profundo, soit 1 353 km de tunnels souterrains de 5 mètres de diamètre qui traversent le sous-sol citadin et conduisent l’eau à un émetteur central, un tunnel de 6,5m de diamètre, construit à 240m de profondeur.

* (la ville de Mexico est divisée en colonies, comme Paris en arrondissements)

« L’eau était partout présente. Elle filtrait entre les pavés des rues, s’écoulait dans les caves, minait les sols, pourrissait la viande. […] Dans certains cas, on était obligé de lester les cercueils ou les corps pour éviter de les voir revenir à la surface ». (à propos des inondations de la fin du XVIe siècle)

MUSSET, Alain. De l’eau vive à l’eau morte, enjeux techniques et culturels dans la vallée de Mexico : XVIe-XIXe siècles – Paris : Recherche sur les Civilisations, 1991. p. 290.

Centre Historique de la ville de Mexico pendant l'inondation de 1951

Centre Historique de la ville de Mexico pendant l’inondation de 1951

inondation de 1951 - Centre historique

inondation de 1951 – Centre historique

 

 

 

 

 

 

 

 

2. Générant une urbanisation incontrôlée

«Un rio tiende a contener la cuidad que atraviesa y a frenar sus ambiciones, recordándola su rosto, sin rio, o sea sin rosto, una ciudad está abandonada a si misma y puede convertirse, como la cuidad de Mexico en una mancha.»

Fabio Morabito (écrivain et poète mexicain)

Ces grands travaux forcés, s’inscrivant dans le processus de colonisation, ont développé chez le peuple mexicain une haine contre les travaux ayant attrait à l’eau ainsi qu’un grand esprit de rébellion. Depuis, il s’est toujours débrouillé pour contourner, adapter et bricoler autour des règles imposées. De cet esprit de contradiction, qui s’observe aussi dans l’urbanisation du DF*, est (en partie) né un problème culturel lié à l’eau.

*DF : Distrito Federal, c’est ainsi que l’on appelle la ville administrative de Mexico

Vallée de Mexico - 1519

Vallée de Mexico – 1519

Vallée de Mexico - 1976

Vallée de Mexico – 1976

 

 

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui, la ville de Mexico compte plus de 20 millions de personnes. Elle reçoit 34 430L d’eau «potable» par seconde, correspondant alors à une consommation moyenne de 360L d’eau par jour et par personne (contre une consommation moyenne d’eau par habitant de grandes villes recommandée à 150L). 70% de cette eau est extraite du sous-sol, le reste provenant en majorité de l’un des plus grands systèmes d’approvisionnement en eau potable du monde : le système Cutzamala. L’eau parcours ainsi 200km de canalisations et gravit 1 100m de dénivelé pour arriver jusqu’à la ville, revenant à l’Etat  à 2 159 millions de pesos (env. 132 Millions d’euros). Actuellement 180 000 habitants de Mexico n’ont pas accès à l’eau potable mais l’institut ConAgua (Commission Nationale de l’Eau) prévoit qu’en 2030, seulement 50% de la population pourra être assurée en eau.

La surconsommation de cet or bleu à Mexico a plusieurs causes. Viennent en tête du classement les fuites dues au mauvais entretient des canalisations et les prises clandestines (37%). La mauvaise qualité des canaux influe aussi sur la qualité de l’eau, que plus de 80% des Defeños (Habitant du DF), ne considèrent pas comme buvable, préférant l’achat de bouteilles. Le Mexique est d’ailleurs le premier pays consommateur d’eau en bouteille dans le monde avec, pour seulement la ville de Mexico, une moyenne de 391L d’eau en bouteille par an et par personne.

L’une des autres raisons pour laquelle l’eau est gaspillée dans la ville est en partie due au manque de culture autour de l’eau. Alors que l’histoire de la ville et son rapport avec l’eau ne sont quasiment plus enseignés, les habitants de Mexico n’ont pas, comme dans beaucoup d’autres grandes villes, un contact visuel avec l’eau comme peuvent avoir les habitants de Paris avec la Seine, de Lisbonne et de New York avec l’Atlantique. A l’exception du lac de Chapultepec et de Xochimilco, ils ne voient l’eau que lorsque la ville s’inonde. Les conséquences de la construction de ce Desaguë sont dramatiques, tant par le nombre de vies humaines qu’il a couté, que par son inefficacité à prévenir les inondations, sans oublier la «mauvaise image» que l’eau a désormais dans cette ville. Cette dernière est en effet perçue comme un ennemi envahissant et dévastateur.

Mexico se retrouve alors dans une position vis à vis de l’eau totalement paradoxale: nous assistons en parallèle à la mise en place d’oeuvres gigantesques et chères pour évacuer l’eau «sale» de ce bassin et éviter les inondations, et à d’autres chantiers de la même ampleur visant à introduire l’eau «potable» destinée à la consommation humaine depuis des bassins voisins. La ville doit aussi composer aussi avec une immigration très élevée venant de tout le pays. Ne pouvant accueillir tout ces flux, une partie de la population s’établie illégalement en périphérie de la ville et se retrouve sans accès aux ressources basiques, dans des quartiers ne bénéficiant pas de services d’évacuation d’eau adéquats.

Trajineras sur les canaux de Xochimilco

Trajineras sur les canaux de Xochimilco

Lac de CHapultepec

Lac de CHapultepec

 

 

 

 

 

 

Sans lac, fleuve ou côte, et sans cet élément catalyseur qu’est l’eau, la ville de Mexico s’est effectivement étendue à la manière d’une tâche, grimpant le long des montagnes, remplaçant progressivement la nature par la ville ou le bidonville. Cette urbanisation incontrôlée engendre un double problème : l’acheminement de l’eau potable et l’évacuation des eaux de pluies, eux-mêmes sources de différents soucis. En effet, la ville de Mexico compte avec des ressources en eaux limitées et, surexploite actuellement ses ressources hydriques.

Ville de Mexico aujourd’hui On voit clairement sur cette carte, comment le lac a progressivement disparut et comment la ville s’est étendu, au delà de sa limite administrative

Ville de Mexico aujourd’hui
On voit clairement sur cette carte, par rapport à l’illustration 1 prise du même point de vue, comment le lac a progressivement disparu et comment la ville s’est étendue, au delà de sa limite administrative

Avec la disparition des lacs, le climat de la ville est devenu plus sec. Les eaux souterraines en revanche sont largement utilisées pour emmagasiner et distribuer l’eau constamment. Elles fonctionnent aussi comme «filtre purificateur», préservant la qualité de l’eau. Cependant, sur les 15 aquifères de la région de Mexico, 4 sont actuellement en état de surexploitation. La ville de Mexico extrait plus du double d’eau des aquifères qu’elle n’est pourtant pas en mesure de recharger. En conséquence, la ville s’est enfoncée de 10m durant le siècle dernier.

En centre-ville, la surexploitation des nappes crée des contractions de terrain qui se traduisent par des effondrements locaux (- 7,30m). Le phénomène est connu depuis 1925, il s’est accéléré dans les années 1950, jusqu’à 50 cm/an en moyenne. En 1954, le Palacio de Bellas Artes s’est effondré et son escalier d’entrée a dû être inversé. Depuis les années 1980, les effondrements locaux sont mieux contrôlés, ils sont de l’ordre de 5 à 8 cm/an aujourd’hui. Mais ils ont progressivement déplacé le niveau de base vers le centre-ville, qui s’est enfoncé de plus de 3 mètres sous le niveau de l’ancien lac. Tous les écoulements se déversent vers la lagune de Texcoco , dont le niveau monte lors des précipitations concentrées en été.

3. Et de fait, accentuant les dommages liés aux inondations
Carte d système de drainage de la ville

Carte du système de drainage de la ville

L’eau demeure un des problèmes majeurs de ce type d’urbanisation pas vraiment réglementée. Le problème de l’accès à cette ressource (3% des 20 millions de personnes vivants à Mexico n’ont pas accès à l’eau) mais aussi celui de l’évacuation de celle-ci. En effet, cet agrandissement «formel» ou non de la ville ne se construit pas avec un système de drainage approprié. De ce fait, alors que tout autour de la ville le sol s’imperméabilise, rien n’est prévu pour évacuer cette eau qui avant s’infiltrait dans la terre. L’eau glisse ainsi sur un sol qui n’est plus poreux, dévalant les collines et se rajoutant au système de canalisations des eaux usées de la ville, qui n’arrive pas à gérer cet afflux supplémentaire, et du coup déborde et recrache son excédent la ville. Dans le cas de Mexico, le problème des inondations est d’autant plus important par sa situation géographique et par la nature de son sol. Non seulement située dans une cuvette sans écoulement naturel, le sur-pompage des nappes phréatiques a entrainé l’enfoncement de la ville, augmentant ainsi la propension naturelle de la ville à s’inonder.

La ville est aride, sèche et bétonnée de partout. Quelques fontaines et un grand lac (Chapultepec) ainsi que quelques parcs viennent rafraichir les habitants, mais le reste de la ville croule sous la chaleur et manque d’ombre et d’eau… jusqu’à ce qu’il pleuve. 75L/m2. Les inondations les plus importantes depuis 30 ans. C’est ce que vient de vivre en ce mois de septembre 2015 le District Federal. Des pluies torrentielles générant jusqu’à 1,80m de hauteur ont bloqué les habitants, paralysé les voitures, le métro et la ville pendant plusieurs heures.

Cette eau stagnante, sans un contrôle adéquat des déchets constitue de plus un risque pour la santé publique, ainsi qu’un problème écologique, l’eau qui s’évacue n’étant absolument pas traitée.

Inondation dans le métro de Mexico

Inondation dans le métro de Mexico

Inondation à Mexico

Inondation à Mexico

 

 

 

 

 

Conclusion/ Un rapport à l’eau complexe

Comment faire alors pour réconcilier cette ville et ce liquide dont elle a tant besoin? Et surtout par où commencer? La ville de Mexico s’enfonce pour satisfaire sa trop forte demande en eau, ce qui accentue les dégâts causés par les inondations… On n’a pas assez d’eau d’un côté, et; trop de l’autre. 

On oublie trop souvent l’importance d’un fleuve, d’une rive, ou simplement de la présence de l’eau dans la ville. La ville a besoin d’endroits frais, qui «respirent», et non d’espaces inappropriés envahis par une eau stagnante. Faire revenir l’eau dans l’espace public, oui, mais cela doit se préparée. Ni trop organisée, ni contrôlée mais composer un espace public prêt à recevoir l’eau et non à l’évacuer au plus vite. Accueillir cette eau c’est la réserver pour une utilisation future, pour arroser, laver, combattre…C’est aussi  faire venir décanter l’eau dans un endroit prévu à cet effet, rappelant au passant sa présence et de ce fait, son importance.

«Cette eau intérieure, ce lac souterrain d’où surgit un autel, sera un «bassin de décantation d’eaux polluées». Par sa simple présence, elle purifiera l’énorme ville. Elle sera une sorte de monastère matériel qui priera sans cesse dans l’intimité et dans la permanence de sa seule substance.»

Gaston Bachelard – L’eau et les rêves

Une ville sans eaux ne peut pas vivre, d’ou la puissance de ce réseaux. Depuis l’arrivée des colons, l’eau n’a fait qu’être de plus en plus contrôlée et privatisée. A partir des années 90, alors que l’eau était gérée par l’Etat, la politique du Mexique s’est orienté une nouvelle fois vers une privatisation des services de fourniture d’eau et d’assainissement, ouvrant leur ressource à de grandes multinationales, transformant de plus en plus cette ressource vitale en bien commercial. Bien commercial qui rapporte d’ailleurs gros : selon l’ONG « Poder al Consumidor », le bénéfice de la vente d’eau en bouteille serait de 5 000%.

Autre exemple dans la ville de Mexico et coïncidence de l’actualité, depuis le 28 janvier et jusqu’au 1er février, la moitié de la population de Mexico se retrouve sans eau. Cette coupure généralisée permettra de réaliser des travaux de maintenance du système Cutzamala. Ce système, en trop mauvais état laissait s’échapper presque la moitié de l’eau qui y circulait. La ville a donc coupé l’accès au réseaux de 13 délégations, avec comme recommandations de stocker un maximum d’eau dans les logements et de l’utiliser avec modération…

Dans cette ville aux origines « aqueuses », morcelée par les canaux et où l’eau permettait à une civilisation de prospérer,  l’homme « moderne » a eu le vœux pieux de maîtriser l’eau pour mieux gouverner et Mexico en subit aujourd’hui les conséquences. S’intéresser à cette histoire, c’est comprendre et aborder une réflexion sur la réintégration de l’eau en synergie avec la ville contemporaine.

Références

A visiter

http://mimejicodeayer.blogspot.fr

http://atlaszocalo.com

http://www.cna.gob.mx

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